- Par IFCE
4 indicateurs pour évaluer un mal-être par l’observation comportementale
Le bien-être est un état mental et physique positif résultant de la satisfaction des besoins comportementaux et physiologiques, et des attentes de l’animal (ANSES, 2018). Lorsqu’il se dégrade, les conséquences sont souvent nombreuses : problèmes de santé récurrents et augmentation des dépenses de soins, enjeux de sécurité du cavalier dus à l’expression par le cheval de comportements potentiellement dangereux comme des défenses, et probablement baisse de la performance sportive. Mais encore faut-il pouvoir détecter efficacement une altération de l’état de bien-être chez un cheval au sein de son milieu de vie.
Focus sur certains comportements qui doivent mettre la puce à l’oreille.
Le comportement : un allié dans la détection d’un mal-être
Si les atteintes sanitaires sont des indicateurs incontestables d’une dégradation de l’état de bien-être, certains signes comportementaux peuvent permettre de détecter un mal-être à un stade précoce et d’agir rapidement pour remédier à la situation.
Leur principal avantage réside dans le fait qu’évaluer le comportement est entièrement non invasif, contrairement aux prélèvements nécessaires aux analyses biologiques, ce qui est ainsi accessible à tous. Il est donc important de connaître ces indicateurs comportementaux de mal-être et de les communiquer au vétérinaire pour une prise en charge du cheval la plus efficace possible.
4 indicateurs comportementaux à surveiller
Dans les études scientifiques, de nombreux indicateurs comportementaux sont utilisés pour évaluer un mal-être, mais seulement quelques-uns apparaissent facilement observables et interprétables sur le terrain, par exemple par un propriétaire de chevaux, un gérant de structure équestre ou un cavalier de club. Il s’agit des stéréotypies, de l’agressivité envers l’humain, de l’insensibilité à l’environnement et de l’hypervigilance.
1- Les stéréotypies
Les stéréotypies sont des comportements répétitifs, invariants et sans fonction apparente et sont surtout connues sous l’appellation « tics » chez le cheval. Cet indicateur comportemental fait l’objet d’une autre fiche équipédia décrivant les différentes stéréotypies orales et locomotrices existantes chez le cheval, ainsi que les atteintes sanitaires associées.
Sur le terrain, les stéréotypies sont, dans l’ensemble, maintenant bien identifiées en tant qu’indicateurs d’un mal-être. Attention toutefois à ne pas considérer uniquement les stéréotypies les plus connues telles que le tic à l’appui ou à l’ours. En effet, de nombreux autres comportements peuvent aussi être classés dans la catégorie des stéréotypies, comme l’ensemble des mouvements répétitifs des lèvres et de la langue par exemple (voir photos ci-dessous). Plusieurs études scientifiques montrent ainsi que ces derniers comportements ne sont pas encore bien reconnus par les professionnels sur le terrain (Lesimple and Hausberger, 2014 ; Ruet et al., n.d.). En cas de doutes vis-à-vis d’un comportement, il est utile de se poser les questions suivantes : ce comportement est-il répétitif ? est-il strictement identique à chaque répétition ? semble-t-il inutile au bon fonctionnement de processus naturels comme l’alimentation ou le repos par exemple ? Si les réponses à ces trois interrogations sont positives, il s’agit probablement bien d’une stéréotypie. Un autre phénomène peut également expliquer le manque de détection de certaines stéréotypies par les professionnels sur le terrain : la surexposition. Dans ce dernier cas, les stéréotypies sont exprimées par un nombre tellement élevé de chevaux qu’elles deviennent la normalité pour des personnes en contact quotidien avec les animaux.
2- L’agressivité envers les humains
L’émergence d’agressivité envers les humains doit alerter sur une altération de l’état de bien-être du cheval. Chez cette espèce, les comportements d’agressivité varient sur un continuum allant de la simple menace, parfois très discrète, en couchant brièvement les oreilles en arrière, à des menaces plus marquées, voire des attaques physiques. Selon le degré d’expression de l’agressivité, la sécurité de la personne à proximité du cheval peut être engagée.
Il est important de ne pas considérer l’agressivité envers l’humain comme l’expression d’un « mauvais caractère », mais bien en tant qu’indicateur d’un mal-être physique et/ou mental. En effet, la littérature scientifique montre désormais que cet indicateur comportemental peut être associé à de l’inconfort, voire à de la douleur physique (e.g., engorgement des tendons et des articulations, gêne respiratoire, lésions sur les lèvres, le corps et les pieds, atteintes chroniques du dos, boiteries - Fureix et al., 2010 ; Popescu and Diugan, 2013 ; Schork et al., 2018). Une étude récente portant sur plus de 200 chevaux a d’ailleurs permis d’avancer sur la compréhension des relations entre santé mentale et physique chez les chevaux présentant de l’agressivité envers les humains. Ainsi, les chevaux agressifs ont une composition spécifique du microbiote intestinal, caractérisée par une plus forte abondance de genres bactériens producteurs de lactate qui fragilisent l’animal et peuvent conduire au développement de pathologies apparemment anodines mais récurrentes, comme des affections digestives, respiratoires ou urinaires (Mach et al., 2020). Enfin, il a été montré que les chevaux agressifs envers les humains sont susceptibles de percevoir leur environnement de manière plus pessimiste, suggérant l’expérience d’un état affectif négatif chronique chez ces individus et donc une altération de leur état de bien-être mental (Henry et al., 2017).
3- L’insensibilité à l’environnement
L’insensibilité à l’environnement a été observée chez plusieurs espèces comme les porcs, les chèvres et les moutons. Chez le cheval également, plusieurs études scientifiques décrivent les animaux comme « apathiques », « absents », voire « déprimés ». Ces derniers apparaissent inactifs, indifférents aux stimulations extérieures et ne participent pas aux activités des autres animaux lorsqu’ils vivent en groupe. Une étude a permis de décrire avec précision une posture spécifique adoptée par les chevaux exprimant de l’insensibilité à l’environnement : la posture de retrait (Fureix et al., 2012). Le cheval se tient debout avec les yeux ouverts, l’encolure étendue et à hauteur du dos, les oreilles sont majoritairement orientées vers l’arrière et fixes, de même que la tête. Contrairement à la posture de repos debout, le regard est fixe et les paupières clignent très sporadiquement. Comme pour certaines stéréotypies, l’insensibilité à l’environnement est peu reconnue par des soigneurs expérimentés (Ruet et al., n.d.).
L’expression de la posture de retrait pourrait révéler un état s’apparentant à la dépression et a été associée à une diminution du repos en position couchée (sternale et latérale). Les chevaux fortement insensibles à l’environnement pourraient également être plus sujets aux coliques. Il est possible que cet indicateur comportemental révèle un mal-être profond qui soit difficile à améliorer. En effet, il a par exemple été observé que des chevaux vivant depuis plusieurs années en box individuel avec très peu de sorties quotidiennes en liberté exprimaient fortement cet indicateur comportemental (Ruet et al., 2019). De plus, les résultats d’une récente étude ont montré que ces chevaux étaient toujours insensibles à l’environnement après 20 jours passés au pâturage en groupe, malgré le fait que cet environnement soit décrit dans la littérature scientifique comme plus favorable à un bon état de bien-être (Ruet et al., 2020).
4- L’hypervigilance envers l’environnement
L’hypervigilance envers l’environnement est une augmentation de l’attention envers de potentielles menaces présentes ou non dans le milieu extérieur. Chez le cheval, elle s’exprime au travers de postures d’alerte et d’alarme, qui permettent à l’individu d’acquérir des informations et de se préparer à réagir.
La posture d’alerte se caractérise par l’élévation de l’encolure, la fixité des paupières et du regard, l’orientation et la fixité des oreilles en direction d’un stimulus (majoritairement vers l’avant) et parfois la dilatation des naseaux (Wathan and McComb, 2014). La tonicité musculaire générale du cheval semble accrue.
La posture d’alarme est une accentuation de la posture d’alerte : les paupières sont exagérément ouvertes et laissent entrevoir la sclérotique, l’encolure peut s’élever encore et des défécations peuvent survenir (Wathan and McComb, 2014). Le cheval peut, dans certains cas, émettre des signaux non vocaux produits par le passage de l’air dans le système respiratoire (i.e., ronflement ou souffle - Yeon, 2012) et se déplacer si l’environnement le permet.
Les postures d’alerte et d’alarme sont nécessaires à la survie de l’animal et font partie du répertoire comportemental naturel de l’espèce. Néanmoins, lorsqu’elles sont exprimées de manière répétée au cours du temps et quelle que soit la situation (par exemple autant lorsque tout est calme que lorsque l’écurie est agitée), il peut s’agir d’une manifestation comportementale d’anxiété chronique. Dans ce cas, l’état de bien-être de l’animal est considéré comme dégradé.
Des profils de mal-être très différents d’un cheval à l’autre
A la suite de l’observation de plus de 200 chevaux sur plusieurs mois, il a été montré que les stéréotypies, l’agressivité envers l’humain, l’insensibilité à l’environnement et l’hypervigilance sont des indicateurs comportementaux indépendants les uns des autres (Ruet et al., n.d.). Autrement dit, un cheval donné est susceptible d’exprimer un, deux, trois ou les quatre indicateurs lorsque son état de bien-être se dégrade, et ceci dans des proportions très variables (cf. figure 1).
Ainsi, chaque cheval exprime un mal-être d’une façon qui lui est propre, qu’il s’agisse d’un entier, un hongre ou une jument. Ce n’est donc pas parce qu’un cheval ne tique pas qu’il va forcément bien, car il pourrait exprimer l’un des autres indicateurs comportementaux de mal-être, voire une combinaison des trois.
Par exemple, sur la figure 1, les deux hongres n’expriment pas de stéréotypies mais ils sont concernés par l’expression d’agressivité envers l’humain, d’insensibilité à l’environnement et/ou d’hypervigilance, et ceci dans des proportions différentes. Il est donc nécessaire de considérer au moins les quatre indicateurs comportementaux pour détecter un éventuel mal-être chez un cheval, au risque de sous-détecter des altérations.
Comment évaluer un mal-être ?
La première étape pour évaluer un mal-être consiste à bien connaître les caractéristiques des quatre indicateurs comportementaux décrits précédemment. Ensuite, une étude scientifique a permis d’identifier une méthode d’observation permettant d’obtenir les résultats les plus fiables (Ruet et al., n.d.) : la méthode d’observation par scan sampling. En voici les différentes étapes :
- Se tenir discrètement à distance du cheval et ne pas entrer en contact avec lui. Lorsque le cheval vit au box et s’il n’est pas visible correctement, il est possible de s’approcher doucement de la porte tout en restant silencieux.
- Observer le cheval quelques secondes.
- Relever si le cheval exprime l’un des quatre indicateurs comportementaux de mal-être.
- Recommencer à plusieurs moments de la journée et sur plusieurs jours.
Cette méthode d’observation peut être facilement mise en œuvre à chaque fois que le cavalier vient monter son cheval ou que le soigneur ou le gérant de la structure équestre entre dans l’écurie. Le point le plus important est de répéter l’observation plusieurs fois afin de maximiser les chances de détecter les quatre indicateurs comportementaux et ainsi augmenter la fiabilité de l’évaluation. Concernant l’évaluation de l’agressivité envers l’humain, il est possible d’ajouter des observations lors de l’approche du cheval dans son milieu de vie, du pansage et de la préparation.
Ce qu’il faut retenir
L’observation des stéréotypies, de l’agressivité envers l’humain, de l’insensibilité à l’environnement et de l’hypervigilance permet de détecter des chevaux en état de mal-être. Des observations répétées au cours du temps sont nécessaires pour évaluer efficacement ces indicateurs chez un cheval dans son milieu de vie.
Par Alice RUET
Bibliographie
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