Un nouvel outil pour réfléchir à sa gestion du parasitisme des brebis

Le constat est inquiétant. Depuis un peu plus d’un an, des dépistages de la résistance aux antiparasitaires ont été mis en place en ferme. Sur les élevages prélevés, la moitié présentent des strongles résistants à au moins une des familles d’antiparasitaires.

Un nouvel outil pour réfléchir à sa gestion du parasitisme des brebis

Les résultats d’une thèse vétérinaire de 2018 fait un constat plus sombre sur les 7 éleveurs de Haute-Vienne/ Corrèze testés, tous présentent une inefficacité d’une à deux familles d’antiparasitaires. Ce qui signifie que dans ces élevages, une dizaine de produits différents ne sont plus utilisables. L’arsenal thérapeutique se réduit cruellement, ce qui rend la gestion à long terme très délicate. En effet, si les pratiques de l’élevage ont amené à l’apparition de résistances, le simple changement de molécules aboutira nécessairement à l’apparition de nouvelles résistances. Il est donc impératif de repenser les traitements et la gestion des prairies pour ménager les animaux, diminuer les traitements tout en garantissant une production permettant à l’éleveur de vivre de son travail.


Pour comprendre les leviers d’action dans chaque élevage, il est impératif de faire un bilan personnel de ses propres risques face au parasitisme. Il est ensuite plus facile d’adapter sa conduite, ses traitements et ses compléments. 

Pour vous aider dans cette démarche, nous avons listé et organisé les principaux facteurs de risque connus pour permettre à chacun de faire son propre diagnostic. Il suffit de cocher les réponses correspondant le plus à la situation actuelle et de constater l’intensité du risque : 

  • Une majorité de vert : le risque est faible, le nombre de traitement ne doit pas dépasser 2 par brebis par an. 
  • Avec une majorité d’orange ou un nombre équivalent de vert et de rouge : le risque est modéré et implique de 2 à 4 traitements par brebis et par an. 
  • Avec une majorité de rouge, la situation est difficile, les traitements ne parviennent souvent pas à régler la situation et la production est souvent décevante. 

2009_09_invitation a faire le bilan risque parasitaire.pdf

Cochez les réponses correspondant le plus à la situation réelle de votre élevage

Les risques sont regroupés pour permettre une meilleure compréhension des leviers

- Une majorité d’orange et de rouge dans les parties “parcellaire” et “pâturage” implique une contamination des parcelles et des charges parasitaires importantes. La réponse thérapeutique adaptée est l’allopathie. Dans cette situation il faut détruire les parasites présents dans les animaux pour compenser la charge du sol. 

- Une majorité d’orange et rouge dans les parties “immunité” et “traitements”, implique une perte de confiance dans les brebis et une incapacité de celles-ci à exprimer leur potentiel. Une réponse phytothérapeutique et aromathérapique est alors adaptée. Ces traitements permettent souvent de renforcer l’immunité en même temps qu’ils sont capables d’inhiber une quantité raisonnable de parasites.

Pour aller plus loin : 

comprendre les facteurs de risque listés dans l’outil


PARTIE PÂTURAGE  et PARCELLAIRE : évaluation de la charge parasitaire des prairies et des animaux

De “Chargement moyen” à “Parcelle autour de la bergerie” : 

Contaminations liées au mode de consommation très particulière des brebis

Il est important de se rappeler que la brebis est un animal qui tri son alimentation. Elle consomme de préférence des herbes tendres et jeunes et des plantes médicinales (feuilles, adventices, herbes sauvages). En absence de contraintes, elle a tendance à surpâturer les zones qu’elle préfère et à délaisser les zones de moindre appétence. Un réflexe naturel fait déféquer juste après avoir ingéré. Ce qui implique que ces zones très consommées sont également les plus parasitées. L’évaluation du chargement moyen, instantané et du temps maximal de séjour permet d’apprécier la fréquence du surpâturage localisé et donc de la contamination au sol.

“Temps de retour sur parcelle”, “Hauteur d’herbe minimale en sortie” : 

Survie et ingestion des parasites

Les strongles sortent de la brebis dans les crottes sous forme d’œuf. Ces œufs doivent éclore, muer et se transformer. Il y a 3 stades larvaires pour la plupart des strongles. La dernière larve est la seule infestante, elle grimpe sur les herbes (à hauteur de ses capacités physiques) pour être ingérée. Si les conditions météorologiques sont extrêmes (sécheresse, ensoleillement, gel) ou si la consommation intervient tardivement, les larves meurent avant d’avoir été mangées. Il est estimé que le délai de 18-21 jours correspond au temps nécessaire pour qu’une majorité des œufs aient éclos et qu’une minorité de larves soient mortes. Ainsi un retour trop précoce sur une parcelle expose les animaux à une grande quantité de parasites bien vigoureux.

Du fait de leurs capacités physiques, la plupart des larves se trouvent sous 3 cm de hauteur d’herbe (hauteur de semelle de botte), une grande proportion se trouvent sous 5 cm (hauteur de talon). Au-delà de 12 cm la quantité de larves est infime. Ce qui signifie que même lorsque les parcelles sont très contaminées si la brebis ne broute jamais sous 5 cm, les risques sont faibles. Au contraire si l’on a tendance à faire rapper les parcelles même saines à priori, le risque parasitaire devient intense, toutes les larves ayant été consommées.


De “âge des agneaux à la mise à l’herbe” à “écart d’âge maximal” : 

Recyclage et excrétion

Il est aujourd’hui impossible de savoir individuellement quel animal est responsable de la contamination des prairies. Mais on connaît des catégories d’animaux qui excrètent beaucoup et qui sont responsables de la plus grande partie des larves au sol. Les principaux coupables sont dans l’ordre d’importance :

- les jeunes agneaux (moins de 4 mois),

- les brebis en période de mise bas (3 semaines avant à 3 semaines après agnelage),

- les agneaux au sevrage,

- puis tout agneau de moins d’1 an de pâturage (les agnelles élevées en bâtiment et sortant pour la première fois à 1 an doivent être considérées comme des agneaux).

Les plus jeunes étant les plus sensibles et les plus vieux les plus contaminants, la succession des agneaux (mises bas étalées et/ou les lots hétérogènes) augmente le recyclage des parasites

Ainsi toute conduite favorisant la mise à l’herbe précoce des brebis et augmentant le nombre d’agneaux d’herbe augmente nécessairement la charge parasitaire des prairies.


“Brebis rentrées la nuit”

Cette mesure ne concerne que la petite douve. La consommation du parasite étant principalement crépusculaire, la rentrée des brebis également en période estivale permet aux brebis de ne pas consommer les larves de petite douve.


De “Pâturage mixte” à “épandage du fumier” : 

Impact des agrotechniques

Les strongles sont spécifiques d’espèces c’est à dire que les strongles des vaches sont différents de ceux des brebis. En cas de pâturage mixte, on constate un effet de dilution (moins d’animaux de la même espèce par hectare) et un effet de concurrence (chaque espèce de parasites luttant indépendamment pour sa survie). Le pâturage mixte conjoint, c’est à dire que les brebis pâturent au pied des vaches, reste cependant assez délicat pour la gestion des douves qui sont communes aux 2 espèces. La pratique de plus faible danger est un passage hivernal et un déprimage des parcelles bovines par les brebis. Cela permet de gagner de l’herbe de qualité et de reposer les parcelles ovines à une période où les douves ne sont pas actives.

Le passage des engins de travail des prairies n’est pas sans impact sur le parasitisme. En effet, un épandage trop tardif va ensemencer les prairies et diffuser les larves vivantes présentes dans le fumier frais. Le compost détruisant les larves de strongles (mais pas entièrement celles de petite douve), il est moins concerné par le sujet.

Le passage de l’ébouseuse peut être une technique d’assainissement à condition qu’elle expose les bouses aux conditions extrêmes. Elle est intéressante en début d’été ou d’hiver. En période favorable (fraîche et humide), l’ébouseuse va permettre la dissémination des larves et les soustraire aux prédateurs naturels présents dans les crottes.


“Vitesse de fragmentation des crottes” : 

Intérêt de la vie du sol

Il existe des prédateurs naturels des larves de strongles présents dans le sol et migrant rapidement vers les crottes. Tout facteur pénalisant la vie du sol augmente le temps de survie et le nombre de larves survivantes dans les crottes des animaux. Concrètement si les crottes ne se fragmentent pas rapidement (constat de petits trous apparaissant dans les crottes dans les 1ers jours), c’est un signe de mauvaise santé du sol et donc de risque augmenté. De nombreux phénomènes sont en causes (tassement lié aux machines, au piétinement, excès d’utilisation de phytosanitaires, surutilisation des surfaces, utilisation de médicaments à impact environnemental fort…).


De “Répartition PP/PT” à “Parcours”» : 

Identifier les prairies assainies

Le labour détruit de nombreux organismes vivants dont les hôtes intermédiaires des parasites. Il enfouit les strongles dans le sol. Ainsi une prairie labourée est considérée saine pendant 2 à 4 ans selon son mode d’utilisation ultérieure. 

Les prairies temporaires, le pâturage des SIE (surfaces d’interculture enherbées) sont des prairies très saines. Les prairies permanentes à très faible potentiel agronomique (landes, tourbières, parcours forestier, alpages...) sont également des prairies saines. En effet, ces parcelles sont pâturées peu de temps et avec peu de retour. Elles restent inoccupées plus de 6 mois de l’année, période pendant laquelle les parasites meurent faute d’avoir été ingérés. La durée sans pâturage est pour elles un facteur d’assainissement. Pour les estives, elles offrent également un temps de repos aux autres surfaces. Si le troupeau passe plus d’1 mois en estive, le retour sur les parcelles d’hivernage sera de plus de 2 mois ce qui aura détruit une bonne partie des larves de strongles.


De “pH des sols” à “Zones ombragées” : 

Milieux de vie préférentiels

Chaque parasite survit au sol dans des zones qui lui sont propices. Les strongles craignent les UV et affectionnent les sols riches en matière organique. Les grandes douves et le paramphistome ont besoin de zones aquatiques au moins temporairement et vont donc être retrouvés dans les mouillères, les résurgences, les prairies alluviales de bords de cours d’eau ainsi que dans les zones de piétinement et les abords des abreuvoirs. La petite douve a besoin de zones bien drainées et de zones de bordure (haies, lisière de forêt…), elle sera donc retrouvée sur les sols sablonneux et les buttes. Pour toutes les douves (petite, grande et paramphistome), le passage nécessaire par un escargot implique un pH de sol au-delà de 5. En dessous, le calcium étant piégé, les escargots peinent à élaborer leur coquille, ils sont donc moins nombreux à multiplier les douves. Attention à bien vérifier la consommation effective de ces zones. En effet, les zones favorables aux strongles sont souvent des zones de couchage, celles favorables aux grandes douves sont souvent peu consommées par les brebis qui apprécient peu l’herbe mouillée et le sol humide.

PARTIE IMMUNITÉ : évaluation des capacités animales et de leur exploitation

De “Utilisation des prés de fauche” à “Utilisation d’antiparasitaire longue action”

On a longtemps accusé la brebis d’être incapable de résister au parasitisme. Si l’immunité n’est pas la première arme de la brebis (elle préfère l’évitement des zones à risque et l’automédication), elle n’est pas moins capable de vivre avec un certain nombre de parasites. La brebis est capable de détruire nombre d’entre eux à condition qu’on lui en laisse le temps. L’immunité s’acquière à la faveur d’une mise en contact douce (peu de parasites présents) et longue (un minimum de 5 mois est nécessaire). Elle peut être détruite par l’usage abusif d’antiparasitaires drastiques ou trop fréquemment utilisés. Mettre en place une immunité compétente demande plus d’efforts de réflexion et d’adaptation que détruire les parasites mais se révèle plus stable et moins coûteux que les traitements intensifs. 

La stratégie globale consiste à offrir les prairies les moins parasitées aux animaux les moins immunisés (agneaux et agnelles), d’éviter la concurrence à l’herbe entre animaux d’âge différent (sevrage des agneaux et mise à disposition d’un nourrisseur) et de permettre aux animaux d’accéder à des plantes vermifuges à hauteur de leurs besoins. L’automédication est complexe et mal appréhendée chez la brebis. Elle relève souvent du constat de berger. De nombreux témoignages du type “Mes brebis mangent les pissenlits à la mise à l’herbe”, “C’est bizarre, les agneaux grattent les taupinières” “Mes brebis ont toujours mangé des feuilles”… Les plantes médicinales ne sont pas si exotiques : feuilles de ronces, aubépine, feuilles et écorce de châtaigner, plantain, chardon marie, origan sauvage, thym, feuilles d’ortie… Toute plante tannique consommée peut avoir des effets vermifuges. 

En pratique, la mise à disposition de plantes médicinales peut se faire sous 2 formes en fonction de prairies disponibles. La plus complète et la plus efficace est la mise à disposition d’une prairie permanente de bonne qualité avec une très grande variété floristique. Les brebis y trouveront naturellement individuellement les plantes dont elles ont besoin. A défaut, il est possible d’implanter des plantes tanniques à faire pâturer ou à récolter (plantain, sainfoin, lotier, chicorée).


De “sélection sur la rusticité” à “complémentation minérale”

La gourmandise est une bonne maladie disait nos grand-mères. Pour bien résister aux maladies il est impératif que les brebis soient bien nourries et surtout en fonction de leurs besoins physiologiques. Une brebis allaitant 2 agneaux en hiver n’a pas les mêmes besoins qu’une brebis tarie au printemps. Le mouton est un animal de qualité. Il a besoin du meilleur et l’augmentation des quantités distribuées ne compense pas le manque de qualité.

La perte d’état importante en lactation ou en bergerie, le manque d’état global sont des signes d’apports insuffisants, la brebis devra alors choisir entre se défendre et faire du lait. Une sur-sollicitation est également néfaste au système immunitaire : une trop grande prolificité, une excellente lactation et/ou une conduite accélérée vont faire utiliser les nutriments pour la production au détriment de l’immunité et rendre les brebis plus sensibles au parasitisme. On constate d’ailleurs que les brebis les plus rustiques sont rarement les plus productives (manque de conformation ou de prolificité ou de lactation sur les brebis rustiques) et inversement (fragilité générale des brebis prolifiques et bouchères améliorées).

La complémentation minérale est également facteur de déficit immunitaire global. Une carence ou un déséquilibre en oligoéléments (notamment iode, sélénium, magnésium, zinc) peuvent impacter sur la qualité de la réaction immunitaire. Dans le cadre de la réaction immunitaire antiparasitaire l’utilisation d’engrais au printemps est impactante sur la brebis. L’herbe ayant ainsi poussé est pauvre en minéraux au moment où la brebis construit sa défense contre les parasites (printemps/été), la brebis est donc vulnérable au plus mauvais moment.

Traitements 

Une surutilisation des traitements et l’utilisation de molécules trop drastiques affaiblissent les défenses immunitaires. Des traitements trop rapprochés (moins de 3 semaines sur les agneaux, plus de 3 par an par brebis) signent soit une contamination intense des prairies (beaucoup de cases rouges cochées dans les 2 premières parties) soit une recherche de sécurité dommageable pour l’animal et le porte-monnaie. Il existe un effet pervers au surtraitement : si les brebis sont traitées dès les premières diarrhées avec des produits drastiques, l’immunité ne se met pas en place, les brebis donnent des signes plus rapidement et sont donc de plus en plus traitées. Plus elles reçoivent de traitement, plus elles sont malades et plus il faut traiter : un ralentissement est impératif mais ne peut se faire du jour au lendemain sans risquer de perdre des animaux.

Pour obtenir la meilleure efficacité des traitements il est impératif de coller au plus juste à la situation, traiter les parasites présents uniquement avec une puissance équivalente à l’intensité de l’infestation.


A retenir :

  •  La situation idéale est illusoire. Il ne s’agit pas d’être parfait mais de connaître sa situation pour s’adapter au mieux.
  •  Évaluer la balance rouge/vert pour connaître vos points de levier
  •  Observer quel est l’ensemble (parcellaire/pâturage/immunité/ traitement) qui contient le plus de rouge et d’orange. C’est sur cette ensemble qu’il faut agir. Voyez quels items rouges vous pouvez changer
  • Adapter les traitements au risque réel : peu de risque, peu de traitement. L’allopathie est préférable dans les risques pâturage, la phytothérapeutique est intéressante dans les risques immunitaires.
  • Les traitements doivent être et rester une compensation d’un déséquilibre que l’on ne peut pas corriger autrement.