- Par Maya Diehl
Les Campylobactérioses, Partie 2 : Campylobacter spp responsable de zoonose chez l’humain
Dans le numéro d’octobre 2023 (N°947) les problèmes d’entérites ainsi que de reproduction provoqués par Campylobacter spp chez les petits ruminants et les bovins ont été décrits. Dans ce second article, nous abordons la pathologie provoquée par Campylobacter spp responsable de zoonose chez l’humain.
Rappel
Caractéristiques des Campylobacter :
• Bactérie Gram négatif mobile, en forme de spirale ou de bâtonnet fin incurvé.
• Microaérophile, anaérobie stricte pour certaines espèces, croissance optimale en général à 37°C mais avec présence d’une thermotolérance (développement possible encore à 42°C).
• Le genre Campylobacter est présent de façon naturelle dans le tube digestif de nombreux animaux qui en représentent le réservoir : Campylobacter jejuni se trouve notamment chez les oiseaux sauvages et domestiques (volaille), Campylobacter coli dans les porcs et la volaille.
• Les Campylobacter sont fragiles : le délai pour mise en culture des prélèvements ne doit pas dépasser 24h à 4°C, sinon, il faut utiliser un milieu de transport protégeant l’échantillon.
• La bactérie apprécie des conditions humides : survie jusqu’à un mois dans l’eau à 4°C ainsi que dans les litières. Campylobacter fetus peut survivre plusieurs mois dans la semence congelée.
• Sensibilité aux pH acides (acidité gastrique protectrice chez les humains). Sensibilité à l’éthanol 70% et à l’eau de Javel à 1%. Sensibilité également à la dessication.
• Élimination de la bactérie par les procédés de pasteurisation.
• La colonisation dans l’intestin est favorisée par la présence d’un à deux flagelles qui permettent la mobilité de la bactérie. L’adhérence aux cellules épithéliales intestinales se fait grâce à des adhésines, molécules à la surface de la bactérie, et d’autres facteurs de pathogénicité (toxines comme la CDT = cytolethal distending toxin) qui permettent l’internalisation donc l’entrée des Campylobacter dans les cellules épithéliales de l’intestin.
• Lipo-oligosaccharide (LOS) présent à la surface de la bactérie, il participe à l’adhérence aux cellules de l’hôte, à l’invasion de l’organisme et permet d’échapper à la réponse immunitaire de l’homme. En particulier, le LOS de certains Campylobacter jejuni peut induire une réaction immunitaire croisée qui déclenche la production d’anticorps de l’hôte se retournant contre la gaine de myéline des nerfs : ce processus va conduire au syndrome de Guillain-Barré (1% des cas) et le syndrome de Miller-Fisher (neuropathies démyélinisantes).
La répartition des Campylobacter est mondiale :
la campylobactériose chez l’homme est la cause la plus fréquente de gastroentérite alimentaire dans les pays occidentaux, avant même les salmonelloses !
De manière générale, les principales espèces concernées sont Campylobacter jejuni (environ 80% des cas en 2015 en France), C. coli (environ 15% des cas) et C. fetus (environ 2% des cas). On peut observer un pic des cas de campylobactériose en été dans les pays occidentaux.
Les enfants sont une classe d’âge particulièrement à risque. Dans les pays en développement, les nourrissons sont protégés de l’infection par les anticorps maternels : la maladie peut se déclencher après l’arrêt de l’allaitement et les Campylobacters font partie des germes intervenant dans les diarrhées infantiles avec morbidité et mortalité importantes.
NB. Campylobacter fetus est très peu impliquée dans les diarrhées : cette espèce provoque avant tout des infections systémiques.
Transmission
La voie principale de contamination de l’homme est celle de l’ingestion d’aliment souillé comme la viande de volaille, ou le lait cru non pasteurisé, ainsi que de l’eau de boisson contaminée.
Symptômes
- Entérite à Campylobacter
• Infection à Campylobacter jejuni et C. coli.
• Incubation en général de 3 à 4 jours, parfois plus.
• Symptômes non spécifiques :
- Fièvre modérée, céphalée (maux de tête), anorexie, asthénie (fatigue importante).
- Diarrhée voire diarrhée sanglante conduisant à la déshydratation, douleurs abdominales, parfois vomissement en cas d’atteinte de l’estomac.
- Chez le nourrisson : déshydratation plus prononcée que chez l’adulte, et des convulsions sont possibles. L’allaitement maternel peut être protecteur !
• Chez les immunodéprimés, les symptômes sont plus sévères et difficiles à supprimer, avec un risque de portage chronique et d’infections répétées.
- Complications en cas d’infection systémique
• Elles sont principalement liées à Campylobacter fetus dont la capacité à passer la barrière intestinale et à envahir l’organisme de l’hôte est plus importante que chez les autres espèces. Cette bactérie a la particularité d’avoir une paroi couverte de protéines de surface qui empêchent les phagocytes de la détruire.
• Les infections systémiques apparaissent notamment chez les personnes immunodéprimées et/ou ayant une pathologie préexistante comme le diabète, un cancer ou une cirrhose par exemple.
• Campylobacter fetus peut parfois contaminer le fœtus chez la femme enceinte, et des infections néonatales à C jejuni peuvent survenir à la naissance si la mère est infectée.
• Les complications peuvent conduire à la mort.
- Complications se déclarant après une campylobactériose
• Syndrome de Guillain-Barré :
polyradiculonévrite aiguë des nerfs périphériques conduisant à une paralysie flasque ascendante avec aréflexie. En général il y a retour à un état normal en 6 à 12 mois, mais il peut y avoir persistance de séquelles neurologiques (jusqu’à 20 % des cas), avec une mortalité de 2 à 3 %.
• Syndrome de Miller-Fisher :
ataxie, aréflexie, ophtalmoplégie (anomalie des mouvements horizontaux de l’œil).
• Syndrome de l’intestin et du côlon irritable :
douleurs abdominales, troubles du transit, ballonnements notamment. Jusqu’à 30 % des cas seraient dus à la campylobactériose.
• Autres complications possibles :
urticaire, érythème noueux = panniculite (inflammation de la couche graisseuse sous-cutanée sous forme de nodules douloureux, rouge-violacé), syndrome post-infection d’arthrite réactionnelle.
Diagnostic
- L’examen sous microscope est possible mais peu sensible.
- Mise en évidence du germe par mise en culture sur milieux sélectifs d’échantillons de selles, de sang (hémoculture) en atmosphère microaérobie à 37°C et spécifiquement 40 à 42°C pour C. jejuni et C. coli, galeries d’identification par les caractéristiques phénotypiques des Campylobacters.
- Détection par PCR ou test immunoenzymatique (ELISA, immunochromatographie) possible et à la fois très sensible et très spécifique.
- Sérologie : la détection des anticorps est intéressante essentiellement dans la recherche de la cause d’un syndrome de Guillain-Barré ou d’arthrite réactionnelle.
Traitement
Symptomatique
Correction de la déshydratation due à la diarrhée avec des solutés adaptés (eau + électrolytes).
Antibiotiques dans les cas graves
En cas de diarrhée sanglante, fièvre, syndrome dysentérique / chez nourrisson, personne âgée, femme enceinte, personne immunodéprimée.
- Macrolide en première intention (azithromycine par exemple) dans les cas d’infection gastrointestinale seule (un antibiogramme est recommandé car il existe une résistance aux quinolones et aux tétracyclines).
- Association d’antibiotiques en cas de complication, sous contrôle d’un antibiogramme : aminoglycoside (gentamicine par exemple) et fluoroquinolone ou ß-lactamine (amoxicilline et acide clavulanique, carbapénème).
- NB. Les résistances aux antibiotiques diffèrent en fonction des espèces de Campylobacter.
Prévention
Il n’existe pas de vaccin chez l’humain.
Il s’agit donc de limiter le risque de contamination humaine :
Au domicile :
- Lavage et désinfection des mains, des ustensiles et surfaces en contact avec les aliments (planche à découper notamment avec le risque de contamination croisée).
- Lavage des fruits et légumes.
- Gestion des viandes (surtout de volaille) : respect de la chaîne du froid, cuisson de la viande à point.
- Consommation de lait pasteurisé.
- Attention en cas de présence ou de contact direct avec animaux de compagnie et d’élevage ainsi que leurs déjections : insister auprès des enfants sur le lavage et la désinfection des mains.
- La contamination entre humains peut survenir au sein du cercle familial ou en cas de conditions d’hygiène dégradées.
En exploitation :
- Globalement, mesures de biosécurité et bonnes pratiques d’hygiène.
- Lavage et désinfection des mains après contact avec les animaux.
- Port de gants et / ou désinfection des mains en cas de contact avec des matières à risque comme un avorton et le placenta.
Dans le milieu de l’industrie agroalimentaire :
- Mesures de biosécurité et hygiène stricte.
- Respect de la chaîne du froid.
- Pasteurisation du lait.
- Surveillance de la chloration des réseaux d’adduction de l’eau.