Maîtrise de l’acidification du caillé

Un des problèmes majeurs rencontrés en transformation fromagère réside dans la difficulté de maîtriser parfaitement les nombreux paramètres qui influencent la croissance bactérienne et l’acidification, et par voie de conséquence, la perméabilisation et la minéralisation ultérieure du coagulum. 

Maîtrise  de l’acidification du caillé

Toutes les catégories de fromages sont concernées par la fermentation lactique avec des gradients variant selon la technologie. Les deux phénomènes, coagulation par la présure et acidification sont combinés et concernent le début de l’élaboration d’un fromage quel qu’il soit. De ces facteurs vont dépendre la réussite du fromage.

La catégorie des fromages frais et fromages à pâte molle est particulièrement concernée, car l’acidification va jouer en interaction avec l’action de la présure pour donner une cohésion au coagulum et une dynamique d’égouttage par la synérèse.

De la conduite de l’acidification va dépendre les caractéristiques des pâtes recherchées.

Il est essentiel de régler selon chaque type de fromages l’intensité et la vitesse d’acidification, mais aussi le flux de lactosérum exsudé. En effet, ce flux induit directement la fréquence des combinaisons possibles de l’acide lactique avec les minéraux fixés sur les micelles. Aussi un tranchage important engendre rapidement un flux de sérum peu acide et peu minéralisé ; un tranchage plus tardif produit un sérum plus minéralisé. 

Une bonne acidification 

L’acidification du lait emprésuré puis du caillé est réalisée par des bactéries lactiques qui se trouvent à l’origine dans le lait cru ou qui peuvent être rajoutées sous forme de ferments lactiques. Ces bactéries consomment le lactose (sucre du lait) pour produire de l’acide lactique, c’est la fermentation lactique.

Cette fermentation, qui conduit à une acidification est essentielle pour la réussite des fromages lactiques.

Intérêt de l’acidification :

  • Pour obtenir un caillé ferme au moulage,
  • Pour faciliter l’égouttage (c’est à dire l’évacuation du lactosérum),
  • Pour protéger le caillé, puis le fromage d’une contamination en germes pathogènes (Listeria monocytogenes, Salmonella, S.aureus  ou en germes indésirables (coliformes),
  • Pour une meilleure conservation des fromages.

De plus, les bactéries lactiques par la production de substances aromatiques, participent au goût des fromages.

Fromages lactiques 

Règles pour une bonne acidification

Un lait est apte à une bonne acidification :

  • s’ il renferme une flore nuisible la plus faible possible
  • s’il présente un bon équilibre entre les différentes variétés de germes dans les limites d’une population totale satisfaisante

Pour une bonne acidification il faut avoir beaucoup de bactéries lactiques à l’emprésurage. 

Les bactéries lactiques sont présentes naturellement dans les litières, les fourrages, sur les mamelles et se retrouvent dans le lait pendant la traite. Elles s’y multiplient et on peut ainsi en dénombrer jusqu’à 1 million dans 1 ml de lait si le lait est laissé pendant 24 heures à 20 °C !

1. Avoir suffisamment de bactéries lactiques à l’emprésurage :

  • Ajout de bactéries lactiques 

En général, les bactéries lactiques sont en quantité trop faible dans le lait, pour que l’acidification soit suffisante. On rajoute alors dans le lait un concentré de bactéries lactiques (100 millions par grammes ou par ml) qui sont :

-des ferments lactiques du commerce (bactéries sélectionnées par des laboratoires spécialisés). 

- du lactosérum prélevé avant le moulage qui a une acidité Dornic comprise entre 50° et 65° C.

  • Dose à respecter 

La quantité de bactéries lactiques est à adapter en fonction du lait et de la technologie (température de coagulation).

- Pour le lactosérum, elle est comprise entre 0,5 et 10 litres pour 100 litres, avec une moyenne de 2 litres pour 100 litres. 

- Dans le cas des ferments lactiques, il faut se reporter aux conseils du fabriquant.

  • Respecter un délai pour obtenir la multiplication des bactéries 

Pour cela, il vaut mieux réaliser :

- soit une maturation du lait : le lait est laissé à la température d’emprésurage entre 2 et 4 heures, de façon à ce que l’acidité du lait à l’emprésurage soit comprise entre 20 et 25 °D,

- soit une prématuration du lait : le lait de la traite du soir est ensemencé en bactéries lactiques et stocké entre 12 et 14 °C pendant la nuit. L’acidité du lait à l’emprésurage sera comprise entre 20° et 25 °D.

2. Avoir un milieu favorable à la croissance des bactéries lactiques :

  • Pas de résidu d’antibiotiques, ni de détergents dans le lait,
  • Pas de contamination en micro-organismes qui inhibent ou ralentissent la multiplication des bactéries lactiques.

3. Avoir des bactéries lactiques en bonne santé

  • Pas plus de 3 jours de stockage au réfrigérateur des ferments lactiques et du lactosérum.
  • Eviter d’utiliser des ferments lactiques ou du lactosérum trop acide :

- le ferment lactique aura une acidité inférieure à 90°D,

- le lactosérum aura une acidité inférieure à 70 °D.

4. Avoir une température de caillage favorable à la multiplication des bactéries lactiques :

Dans le cas des fabrications lactiques, la température de caillage doit être constante et être au minimum de 18°C. Plus la température est élevée (maxi 30°C), plus la multiplication est rapide.

La température de caillage conseillée est de 20°C.

Causes d’une mauvaise acidification

Le lait cru est une matière vivante dont la composition microbiologique varie selon les saisons, l’alimentation des animaux, la conservation du lait, les conditions de traite et de transformation fromagère.

  • Un ou plusieurs des paramètres de coagulation et d’égouttage mal adaptés : température d’emprésurage trop basse, température de la salle trop basse, dose de ferments trop faible, ferments peu acidifiants (contamination du ferment, souches de bactéries lactiques peu acidifiantes...).
  • Présence d’inhibiteurs dans le lait : antibiotiques, résidus de détergents.
  • Lait mammiteux.
  • Contamination du lait en micro-organismes qui inhibent ou ralentissent la multiplication des bactéries lactiques.

Dans le cas d’un défaut d’acidification, on observe 3 possibilités :

  • Un manque d’acidification
  • Un excès d’acidification
  • Une évolution anormale de l’acidification.

Les conséquences sont différentes selon la technologie.

Lait trop acide

Les laits top acides sont courants par temps chaud. On a une activité intense de la flore lactique, contamination en staphilocoques, entéro, microcoques dès 75-80°D. Le lait prend la consistance d’un yaourt.

Pour l’éviter, il faut refroidir le lait et revoir l’hygiène de la traite.

Dans le cas d’un manque d’acidité en caillé lactique, les germes se développent entraînant la fabrication de fromages stratifiés, hétérofermentaires. On observe également des gonflements (coliformes) mais aussi le développement de germes potentiellement pathogènes.

Ce manque d’acidité entraîne également des difficultés d’égouttage.

Un manque d’acidité peut avoir plusieurs origines possibles :

  • Trop peu de bactéries lactiques (trop d’hygiène, un lait trop propre ou une forte compétition par autres germes).
  • Des bactéries peu actives.
  •  Des inhibiteurs dans le lait.
  • Trop de protéines solubles (c’est notamment le cas en début de lactation).
  • Trop d’azote soluble dans le lait (mise à l ’herbe…).
  • Résidus de lessive.
  • Température de caillage trop basse

Dans le cas d’un excès d’acidité en caillé lactique, la pâte sera moins fine et le caillé très déminéralisé. Des problèmes d’aspects et de texture sont également possibles. Une acidité forte se traduit par les défauts d’aspects suivants :

  • Caillé friable,
  • Caillé digéré, raviné,
  • Caillé gonflé,
  • Caillé fissuré,
  • Caillé contracté

Dans tous les cas, la première intervention est de baisser la température de  caillage et de diminuer la dose de levain.

Acidimètre

L’utilisation de l’acidimètre Dornic permet de doser l’acide lactique indiquant l’activité de fermentation lactique. 

La mesure de l’acidité du lait est importante pour connaître l’acidité de départ. C’est ce qui servira de repère et permettra de mesurer l’acidité développée. 

Lorsque l’on fait «maturer» le lait, on mesure l’acidité de départ, on ensemence avec des ferments et on attend un gain avant d’emprésurer.

Exemple : +3°D ou +5°D ou +7°D.

Ce gain d’acidité sera le signe du développement des ferments lactiques.

Valeurs indicatives de l’acidité du lait tirant :

  • Lait de chèvres : 12°D à 17°D
  • Lait de vaches : 16°D à 18°D
  • Lait de brebis : 20°D à 22°D

Une forte acidité du lait tirant mesurée révèle peut être, une erreur de mesure, une soude qui trop vieille ou mal titrée,  une erreur de lecture, une erreur de prélèvement du volume de lait.

Elle peut être dû également à un lait issu d’un troupeau dans lequel des animaux ont subi une nette diminution de production laitière : le lait est plus concentré en protéines (TP) ou un lait issu d’un troupeau dans lequel certaines bêtes sont en voie de tarissement.

L’acidité du sérum

Cas du caillé lactique

La mesure d’acidité du sérum surnageant après 20 ou 24 heures d’emprésurage est un bon indicateur de la qualité du caillé. Une bonne acidité se situe entre 50 et 65°D.

En dessous de 50°D, le caillé risque d’être insuffisamment déminéralisé (mauvais égouttage, pertes importantes en faisselle...).

Au-dessus de 65°D, le caillé risque d’être trop cassant, pâte sèche, affinage long, parfois le caillé ressemble à du yaourt (pertes importantes en faisselles).

Cas des pâtes pressées

L’acidification démarre en cuve. En pâtes pressées non cuites, le sérum de cuve après caillage pourra titrer 19°D. Il gagnera 1 à 1,5°D en cours de brassage juste avant le moulage. L’acidification se poursuivra au cours du pressage. 

Remarque : en pâtes pressées, il est plus juste d’utiliser un pHmètre.

Utilisation de l’acidimètre Dornic
  • Mettre la soude Dornic N/9 dans le récipient de l’appareil
  • Remplir la colonne graduée de soude Dornic en appuyant sur le récipient en plastique.
  • A l’aide d’une seringue ou d’une pipette, prélever 10 ml de lait ou de sérum.
  • Verser cet échantillon dans un tube à essai ou un verre.
  • Ajouter 3 ou 4 gouttes de Phénolphtaléine dans le lait.
  • Ouvrir le robinet, laisser couler goutte à goutte la soude dans l’échantillon en remuant doucement.
  • Attendre l’apparition d’une coloration rose pâle persistant quelques instants.
  • Lire sur la colonne, la graduation correspond au niveau de la soude, le nombre de dixièmes de ml de soude titrée indique l’acidité du lait en degré Dornic.

Il faut mettre les yeux à la hauteur de la colonne.

Lire le résultat lorsque le bas de la bulle touche une graduation.

Exemple : si le niveau de la soude affleure la graduation 1.6, le lait analysé titre 16° Dornic.

Papier pH

La mesure du pH par le papier pH permet de vérifier le déroulement de l’acidification.

C’est un test simple qui peut être utilisé en contrôle de routine pour détecter des anomalies (suracidification ou sous-acidification).

La mesure est basée sur le changement de coloration d’un indicateur coloré au contact du lait, du lactosérum ou du fromage frais...). Cette coloration est ensuite comparée à une gamme de couleurs afin de lire le pH du milieu à analyser.

Exemples d’interprétation des résultats : 

Technologie lactique : 

Test réalisé sur le lactosérum au moulage et/ou sur le fromage frais au démoulage :

Si le pH est supérieur à 4,7 l’acidification du caillé est lente et insuffisante.

Technologie pâte pressée non-cuite ou pâte molle type «Présure» : 

Test réalisé sur lactosérum ou sur le fromage frais au démoulage :

Si le pH est supérieur à 5,6 l’acidification du fromage pendant l’égouttage est trop lente et insuffisante.

Comment procéder ?

Ne plongez pas ou n’appliquez pas la bande de papier directement sur vos produits.

Produits liquides 

(lait, lactosérum, eau d’alimentation, eau de rinçage, saumures) 

  • Prélevez un échantillon du produit (avec un ustensile propre), environ le quart d’un verre et le papier pH (morceau ou bandelette).
  • Trempez le papier dans l’échantillon. Lisez la couleur immédiatement.
  • Comparez la couleur obtenue avec la gamme de couleur de la boîte dans un lieu bien éclairé, vous savez ainsi le pH de votre échantillon.

Produits solides (caillé, fromages frais au démoulage voire quelques jours) 

  • Prenez un morceau ou bande de papier pH
  • Prélevez un bout de produit avec un couteau par exemple et déposez-le en appuyant légèrement. N’étalez pas trop de façon à pouvoir retirer le morceau de fromage ensuite.
  • Ne pas mettre en contact la lame métallique du couteau avec la surface colorée car cela pourrait fausser la mesure.
  • Attendez une minute maximum et comparez la couleur obtenue avec la gamme de la boîte pour avoir le pH de votre produit.
  • Jetez le morceau usagé et l’échantillon qui a été appliqué sur celui-ci.

(+)Le papier pH est pratique, rapide, peu coûteux et simple d’utilisation. Il peut donc être conseillé en contrôle de routine pour détecter des anomalies de fabrication.

(-) Le papier pH ne peut être utilisé que sur des milieux liquides ou des fromages frais.

(-) La mesure du pH avec cet outil ne donne qu’une valeur approximative de pH car l’évaluation de la couleur est délicate. Le papier pH ne remplace donc pas le pH mètre.

CONSEILS

N’entreposez pas le boîtier à l’humidité et évitez si possible la lumière : le mieux est de le ranger dans un placard ou dans un bocal hermétique. Vous pourrez ainsi conserver votre papier pH pendant un an voire plus.