- Par Christelle Dubois-Frapsauce
Troubles respiratoires au pâturage : n’oublions pas les strongyloses pulmonaires
Chez les ruminants, il est assez fréquent de rencontrer des signes respiratoires sur des animaux au pré : toux, écoulement nasal, respiration rapide, manque d’air... Il ne s’agit pas toujours d’une infection bactérienne ou virale primaire. Les strongles respiratoires peuvent en être à l’origine. Chez nos ruminants domestiques, on en rencontre deux types : les dictyocaules et les protostrongles. Leur cycle de développement sont légèrement différents ce qui explique qu’on y soit confronté dans des milieux différents.
Biologie et conséquences
Dictyocaulus filaria et viviparus
(Cf cycle de développement page précédente)
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Localisation
Les adultes, vers blancs de 3 à 10 cm de long, se localisent au niveau des grosses bronches pulmonaires. Les femelles y pondent des oeufs qui se transforment rapidement en larves de premier stade. Celles-ci vont être rejetées lors de toux ou dans les fèces après déglutition. Elles se transformeront en larves L2 puis L3 infestantes assez rapidement.
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Résistance
Les larves de stade 3 peuvent persister dans les pâtures jusqu’au printemps suivant si l’hiver n’est pas trop rigoureux (sensibles aux gelées). Bien qu’elles puissent tolérer un certain manque d’humidité, elles n’ont
par contre aucune résistance en milieu totalement sec. Elles peuvent également être disséminées par les vers de terre sur la pâture ou par un champignon du genre pilobus qui se développe dans les bouses des
bovins en été.
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Particularités
Les ovins sont plus réceptifs que les caprins avec une sensibilité importante des agneaux et des adultes lors de la première infestation ; la reprise du cycle se fait rapidement au printemps : L4 en hypobiose (4 semaines possibles en hiver), excréprintion de L1 par des porteurs latents et L 3 persistant sur les pâtures en hiver doux. Il s’agit d’une maladie de pâturage qui peut s’exprimer à toute période de l’année avec une prédominance à l’automne (plus de L3 sur les pâtures).
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Symptômes
Les adultes présents au niveau pulmonaire entraînent une irritation importante des bronches, avec inflammation locale et production d’une grande quantité de mucus. Du jetage clair inconstant (= écoulement au niveau des narines) et de la toux grasse et quinteuse apparaissent. Si l’infestation parasitaire est massive et/ou que l’animal ne parvient pas à évacuer les vers et le mucus, une obstruction de voies respiratoires
se produit, perturbant la circulation d’air dans tout ou partie du poumon. L’animal montre alors une respiration de plus en plus difficile et bruyante (respiration souvent bouche ouverte et cou en extension) et peut parfois mourir par suffocation dans les cas graves. Les poumons ainsi parasités sont aussi plus sujets aux infections bactériennes ou virales qui viennent encore compliquer les symptômes cliniques (apparition de fièvre possible). La suspicion doit intervenir lors de l’apparition brutale d’une toux qui concerne assez vite une bonne partie du lot.
Les protostrongyloses : Protostrongylus rufescens et Mullerius capillaris (entre autres)
(Cf cycle de développement ci-contre)
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Localisation
Les adultes de Protostrongles se retrouvent un peu plus en profondeur des poumons que ceux de Dictyocaules : au niveau des petites bronches et des bronchioles pour Protostrongylus rufescens, petits vers rouges - brunâtres, et très profondément au niveau du tissu pulmonaire et des alvéoles pour Muellerius capillaria, très petits vers aussi fins que des cheveux. Les adultes se nourrissent de mucus.
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Résistance
Grâce à la présence d’un hôte intermédiaire (escargots, limaces terrestres inactifs en hiver qui peuvent héberger des larves au moins un an) où les larves L2 se transforment en larves L3 en 2 à 4 semaines, la
persistance dans le milieu extérieur peut être encore plus importante que pour les Dictyocaules. Contrairement à ces derniers, ils sont présents en milieu sec. Les infestations se font surtout en fin de printemps et en début d’été par ingestion des mollusques avec l’herbe ou des larves libérées à la mort du mollusque. Les larves atteignent les poumons par migration lymphatique puis sanguine.
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Symptômes
Si l’infestation est faible on constate seulement une augmentation marquée de la fréquence respiratoire ; en cas d’infestation lourde, apparaîtront une toux quinteuse plutôt sèche, des difficultés respiratoires modérées et une diminution de l’état général et de la résistance de l’animal.
Diagnostic des strongyloses respiratoires
Par la clinique
L’apparition de signes respiratoires sur de jeunes animaux au pâturage en été et en automne doit y faire penser. Tableau souvent plus grave pour les dictyocaules que pour les protostrongles.
Par les analyses de selles (coproscopie)
Contrairement aux strongles digestifs, ce sont les larves L1 qui sont mises en évidence, et non les oeufs. Mais la présence de ces larves dans les selles ne persiste pas (dessiccation, ingestion par un hôte intermédiaire, transformation en larve L3...) et au début de l’infestation, le nombre de larves peut être faible, ce qui rend sa visualisation dans les selles parfois difficile. Dans les conditions optimales, les selles devraient être examinées dans les 24 à 48 h après le prélèvement, avec des techniques de laboratoire permettant de visualiser au mieux ces larves (le plus souvent, technique de Baermann ou de
Mc Kenna). Dans les cas de ré-infestation d’ovins adultes, aucune larve n’est en général visible. L’absence des larves de strongles pulmonaires ne doit donc pas exclure l’origine parasitaire d’une affection respiratoire.
Par les autopsies
Elles permettent la visualisation des adultes de Dictyocaules dans les bronches ou des lésions inflammatoires (nodules rouges si récents, gris si plus anciens) des Protostrongles, avec des zones de poumons non
fonctionnels (pneumonie grise) en particulier pour la mullériose.
Gestion des strongyloses respiratoires
- Il est difficile de préconiser des recommandations pour assainir les pâtures en particulier pour les protostrongles à cause de la présence d’un hôte intermédiaire.
- Comme pour de nombreux parasites, penser à la rotation des animaux sur des pâtures non contaminées. Séparer les jeunes et les adultes à la mise à l’herbe et ne pas faire pâturer les jeunes animaux, plus sensibles, sur des pâtures déjà contaminées par des adultes. Les jeunes doivent en effet se contaminer progressivement pour pouvoir développer leur immunité.
- Lorsque des aliments sont distribués, toujours prévoir des auges pour limiter leur contamination par les selles.
- Les animaux malades ou sévèrement infestés devraient être retirés des pâtures et mis en bergerie pour éviter de nouvelles contaminations par des vers pulmonaires.
- Le traitement est possible. La plupart des molécules (lévamisole, benzimidazoles, souvent à plus forte dose que pour les strongles digestifs, ou lactones macrocycliques avec une rémanence possible selon les molécules ou les formes d’administration) sont utilisables avec une efficacité plus marquée sur les Dictyocaules. Les Protostrongles, plus profondément enfouis dans le poumon, sont moins accessibles aux traitements mais un blanchiment des animaux n’est pas indispensable pour améliorer leur état.
Même si les infestations par les strongles pulmonaires sont souvent masquées par les traitements contre les strongles digestifs, il faut y penser comme cause possible d’un épisode de toux en particulier sur de jeunes animaux et sur des animaux plus âgés qui dépérissent avec des difficultés respiratoires.