Zoonose et fièvre Q : un cas concret

Le cas concret

A la mi-avril 2019, une femme de 74 ans effectue un séjour d’environ 3 semaines en Poitou-Charentes, pour rendre visite à de la famille. Tout se passe bien, et elle rentre chez elle sereinement.  Le 13 mai, une prise de sang est effectuée pour un contrôle de routine. 


Zoonose et fièvre Q : un cas concret

Le 16 mai, elle consulte son généraliste : elle ne se sent pas bien, avec fatigue, et les résultats de la prise de sang du 13 révèle la présence d’une infection. Le médecin prescrit 7 jours de pénicilline. Personne ne songe alors à une zoonose.

Au 19 mai, une fièvre à 39°C s’installe avec nausée et anorexie. S’ensuivent 10 jours d’anorexie et de fièvre égale ou supérieure à 40°C !

Le 23 mai, une radiographie du thorax est effectuée en urgence, car la patiente présente une sensibilité pulmonaire acquise une dizaine d’années plus tôt suite à un traitement insecticide du bois d’un meuble. Une seconde analyse de sang est également faite. 

Le 24 mai, la patiente est soumise à un scanner en urgence. Le diagnostic pathologique tombe : pneumonie bilatérale atypique, mais l’origine des lésions pulmonaires reste inconnue.

A partir du 26 mai, la patiente est suivie par une équipe de spécialistes qui ne trouvent pas d’explication : traitement ambulatoire avec hospitalisation prévue en l’absence d’amélioration de son état. Au pneumologue vu ce jour-là, la patiente évoque alors la possibilité d’une Fièvre Q compte tenu de son séjour en zone d’élevage…

Le 05 juin, l’équipe médicale tombe enfin d’accord : doxycyline et hydroxychloroquine sont prescrits pour 21 jours de traitement standard de la coxiellose, et une prise de sang pour sérologie Fièvre Q est effectuée.

Le 11 juillet, la patiente est soumise à un examen de fonction pulmonaire. Le pneumologue en profite pour l’informer que la sérologie confirme le diagnostic de Fièvre Q.

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Le 09 août, la patiente effectue un scanner de contrôle, et une deuxième prise de sang pour suivre l’évolution sérologique de la Fièvre Q.

Le 17 septembre, une visite de suivi aborde les résultats des examens du 09 août : la pneumonie bilatérale est éliminée, le taux d’anticorps a chuté, les résultats sanguins montrent un retour à la normale. Aucun signe de chronicité de la Fièvre Q n’est décelé !

A ce jour, la patiente a heureusement parfaitement récupéré de son épisode de Fièvre Q. Elle aura perdu 10 kg tout de même dans l’histoire !


Fièvre Q, la zoonose

Le nom de cette maladie provient d’un épisode de fièvre chez des employés d’un abattoir de Brisbane en Australie, en 1935, qui fut baptisé « Query fever » (query = question, demande) car son origine n’a pas pu être déterminée.

En Europe, la maladie engendre sporadiquement des épidémies :

- Pays-Bas : épidémie humaine entre 2007 et 2011, avec plus de 4000 cas humains, suite à une vague d’avortements dans des exploitations principalement caprines. 40 000 petits ruminants ont été abattus.

- Grande Bretagne : 147 personnes symptomatiques en 1989 dans les West Midlands.

- Suisse : maladie à déclaration obligatoire. Epidémie humaine en 1983 dans le Val de Bagnes, atteignant 415 personnes. 14 malades dans un foyer à Lavaux en 2012. Un foyer à Maggia, dans le canton du Tessin a concerné en fin de printemps 2019 une vingtaine de personnes. Les animaux des exploitations concernées ont été vaccinés.

- France : environ 5% de la population montrerait une sérologie positive, mais l’incidence des cas symptomatiques n’est pas connue. Le laboratoire de Sophia-Antipolis, Anses, est le référent en France dans le domaine de la Fièvre Q.

La période d’incubation est de 21 jours en moyenne.


Contamination :

Il existe trois modes de transmission :

- Par voie aérogène : inhalation de coxielles présentes dans les poussières et aérosols issus de l’environnement (litière, compost, toute matière ayant été en contact avec des produits de mise-bas). Il s’agit de la voie principale de contamination.

- Par voie orale : consommation de produits à base de lait cru. Cette voie reste mineure.

- Par morsure de tique : transmission aux animaux, contamination humaine potentielle.


Il existe deux formes principales de la maladie :

Forme aiguë :

Chez 60% des personnes contaminées, l’infection est asymptomatique. Chez les 40% restants, la maladie va se manifester par :

- Un syndrome pseudo grippal : fièvre prolongée sur 7 à 14 jours, maux de tête, myalgies, toux sèche

- Une pneumopathie : pneumonie atypique, douleur pleurale, voire syndrome de détresse respiratoire aiguë.

- Une hépatite granulomateuse (infection du foie) : hépatosplénomégalie, augmentation des transaminases, parfois ictère, nausées, vomissement, diarrhée.

- Parfois une éruption cutanée sous forme de purpura ou maculopapuleuse.


Elle peut s’accompagner plus rarement de :

- Atteinte cardiaque (2% des cas) : myocardite, péricardite.

- Atteinte neurologique (1% des cas) : méningite, encéphalite, neuropathie périphérique, névrite optique.

En cas de grossesse : avortement, prématurité, mort fœtale, hypotrophie (manque de développement).


Forme chronique :

Si l’infection n’est pas traitée, durant plus de 6 mois :

- Endocardite : mortalité de 25 à 60 % en l’absence de traitement !

- Infection vasculaire (infection d’anévrisme, de prothèse vasculaire ; spondylodiscite)

- Infection ostéo-articulaire

- Infertilité par réactivation de la maladie, avec avortement à répétition.


Diagnostic 

Sérologie : par immunofluorescence avec détection de deux phases d’anticorps.

- Fièvre Q aiguë : séroconversion 2 à 3 semaines après apparition de la maladie, avec par définition pour poser un diagnostic un taux d’IgG phase II supérieur ou égal à 200 et un taux d’IGM égal ou supérieur à 50. Un taux positif d’IGM seul peut révéler un faux positif.


  • NB : L’antigène (= partie de la bactérie) de phase I est retrouvé chez le malade, alors que l’antigène de phase II est retrouvé après culture de la bactérie sur cellule. On retrouve donc des anticorps contre l’antigène de phase II en cas de Fièvre Q aiguë, et des anticorps de phase I dans les cas de Fièvre Q chronique.

- Fièvre Q chronique : avec un taux d’IGG de phase I supérieur ou égal à 800.

PCR : en cas de fièvre Q chronique, ou au début de l’infection avant apparition des anticorps


Immunohistochimie / Immuno-fluorescence : examen de tissu pour mise en évidence de la bactérie.


Mise en culture : nécessite des conditions de sécurité en laboratoire de type P3.



Traitement 

Il diffère selon le stade de l’infection :

Fièvre Q aiguë 

- Doxycycline ou fluoroquinolone pendant 21 jours, ou jusqu’à 7 jours après arrêt de la fièvre

- Si risque de chronicité : doxycycline (antibiotique) + hydroxychloroquine (antiinflammatoire et antalgique) pendant 12 mois, ou doxycycline seule si patient immunodéprimé

- Si infection pendant une grossesse : cotrimoxazole (= triméthoprim + sulfaméthoxazole) + acide folinique (métabolite actif de l’acide folique)

Fièvre Q chronique 

Doxycycline + hydroxychloroquine pendant 18 mois minimum.


  • NB : La Fièvre Q peut être prise en charge au titre de maladie professionnelle (tableau 49 B du Régime Agricole et 53 B du Régime Général).



Fièvre Q en élevage : le rappel

La maladie est provoquée par Coxielle burnetii, une bactérie Gram négative intracellulaire stricte. Elle est présente dans le monde entier, à l’exception de la Nouvelle Zélande.

La bactérie forme des pseudospores dans l’environnement, ce qui lui donne une très grande résistance dans le milieu extérieur : elle résiste à la dessication, à la chaleur (10 minutes à plus de 80°C), au froid (2 ans à -20°C) ainsi qu’à la plupart des désinfectants. Elle peut survivre dans l’urine pendant 49 jours, dans la laine à 20°C pendant 8 mois.


Elle infecte de nombreuses espèces (bovins, ovins, caprins, chien, chat, renard, rongeurs, oiseaux), souvent de façon asymptomatique, mais atteint en particulier les ruminants :


Petits ruminants : 

Elle est caractérisée par :

- Avortement en fin de gestation

- Mise-bas prématurée

- Nouveau-nés chétifs


Bovins : 

On constate :

- Métrite

- Infertilité

- Avortement


L’excrétion se fait par :

- le liquide amniotique et placenta

- le lait, urine, selles, mucus vaginal, sperme.


Elle est massive lors d’un avortement, importante pendant la mise-bas d’un animal porteur sain, intermittente hors gestation chez ces mêmes porteurs.


Les animaux ayant avorté peuvent rester porteur - excréteur toute leur vie.


La contamination entre animal se fait par contact direct avec les éléments cités ci-dessus, respectivement par voie aérogène comme chez les humains, ou éventuellement par les tiques.



A retenir


Ce cas concret est abordé ici pour montrer que :


  • Le risque de zoonose est bien réel, non seulement pour les personnes travaillant en contact direct avec les animaux d’élevage ou la faune sauvage (éleveurs, vétérinaires, techniciens, personnel d’abattoir et de laboratoire, voire forestiers, chasseurs...), mais également les populations environnantes des zones d’élevage : cela est particulièrement vrai dans le cas de la Fièvre Q avec son mode de dissémination par le vent !!


  • Des symptômes à priori banals, de type grippal par exemple, ne doivent pas être pris à la légère, notamment chez des personnes à risque (femmes enceintes, personnes âgées, immunodéprimées ou à handicap (valvulopathie cardiaque, insuffisance pulmonaire)) : ils peuvent masquer une infection qui aura des conséquences immédiates et/ou à long terme (chronicité).


  • NE JAMAIS OUBLIER DE MENTIONNER LE RISQUE DE ZOONOSE à SON MÉDECIN ou à L’HÔPITAL

Le personnel soignant est sensibilisé au risque de maladie tropicale et demande en général si le patient a voyagé dernièrement à l’étranger. En revanche, il est rare que le médecin pense à demander s’il y a contact avec des animaux : il peut y avoir perte de temps dans la pose du diagnostic, voire perte de chance !