Les plantes, une alternative à la résistance des strongles aux anthelmintiques ?

Depuis plusieurs décennies, des molécules actives contre les strongles gastro-intestinaux des ruminants sont découvertes et commercialisées dans le monde entier. Suite à une utilisation trop importante, leur efficacité s’effrite au fil du temps jusqu’à disparition totale et donc acquisition complète de la résistance par les parasites. 


Les plantes,  une alternative à la  résistance des strongles aux anthelmintiques ?

Il s’agit d’un processus naturel d’adaptation et de survie, auquel la nature s’adonne depuis des millions d’années et que l’homme accélère par :

- Un usage massif : trop souvent, ou à des moments inopportuns dans le cycle de vie du parasite respectivement selon le stade physiologique de son hôte.

- Un dosage mal adapté : sous-évaluation du poids des animaux, absence d’allotement par poids, mauvais réglage des seringues par exemple.

- L’absence de rotation des familles de molécules actives : famille des avermectines et milbémycine surreprésentée dans les traitements notamment.


Face à l’apparition des multirésistances aux anthelmintiques, d’autres voies ont été explorées. Ainsi, des méthodes alternatives existent avec chacune leurs contraintes et leur potentiel d’efficacité :

- Pastoralisme et rotation des pâtures : l’objectif est de couper le cycle de vie du parasite en empêchant la recontamination, par le retour sur parcelle tardif, éliminant tout ou partie des stades infestants.

- Passage sur des pâtures contenant des plantes fibreuses (fétuque plutôt que ray-grass par exemple) décrochant mécaniquement les strongles présents dans le tube digestif.

- Utilisation de plantes à tanins en pâture.

- Apport en azote / protéine dans la ration : le but est d’aider l’animal à lutter contre une anémie (haemonchose) ou un amaigrissement marqué (autres strongles), en compensant les pertes engendrées par le parasitisme.

L’ensemble de ces méthodes souffre d’un aspect aléatoire par rapport à l’utilisation classique des molécules allopathiques présentes dans l’arsenal thérapeutique habituel, pour lesquels posologie, AMM et délais d’attente sont clairement définis.

Qu’en est-il des plantes : ont-elles une efficacité reconnue scientifiquement ?

Un exemple in vitro : haemonchose et plantes médicinales africaines

L’objectif de ce travail scientifique était d’adapter un test de screening issu de l’industrie pharmaceutique aux conditions de recherche sur le terrain, afin que les chercheurs locaux africains puissent effectuer leurs propres essais indépendants. 

Dans ce cadre, un total de 86 échantillons issus de 60 plantes furent collectés sur le terrain en Côte d’Ivoire, en parallèle avec la constitution d’un herbier d’identification des espèces végétales concernées. Le choix des plantes fut basé sur la littérature existante, recensant les plantes médicinales africaines et leurs utilisations, en utilisant les critères d’activité “contre les vers” / “contre la diarrhée” / “contre les maux de ventre”.

Les échantillons furent soumis à une extraction éthanolique à 90 %, puis testés contre les stades de l’œuf à la larve infestante L3 du strongle de la caillette Haemonchus contortus. Des dilutions progressives d’extrait de plante furent testées en doublon sur plaque de 96 puits, ces dernières comportant également à chaque fois une calibration avec d’une part une rangée de puits contrôles ne comportant aucun produit, d’autre part une rangée de dilutions standard de moxidectine respectivement fenbendazole. Chaque puits recevait 70 œufs de parasite, et les plaques étaient ensuite incubées à 25°C et humidité de 100%.

Le taux d’éclosion était observé à 24 h, puis l’évaluation finale de l’activité se faisait au 6ème jour avec l’observation du nombre de larves écloses ainsi que leur état (vie / mort) et leur stade de développement.

Au final, les résultats obtenus purent notamment montrer que :

  • Certaines espèces de plantes possèdent bien une activité inhibitrice du développement larvaire de H contortus (25,6% des échantillons et 31,7% des espèces démontrèrent une activité forte à différents stades de développement du parasite).
  • Des critères ethnobotaniques peuvent permettre d’identifier des plantes actives plus rapidement qu’un screening au hasard.
  • Souvent, plus le nombre de citations pour une activité anthelminthique respectivement pour les diarrhée et maux de ventre était élevé, plus la chance que la plante soit active était grande.

Une certaine prudence est toutefois nécessaire :

- Une différence entre les échantillons (écorce, feuille, racine etc.) de la même espèce de plante fut révélée (certains très actifs alors que d’autres inactifs !)

- Certaines espèces très citées dans la littérature ethnobotanique furent des déceptions lors des tests, alors que des espèces rarement citées furent de bonnes surprises !

- L’échantillonnage fut conduit en début de saison sèche : or les conditions de récolte pouvant influencer la concentration en molécule active, le test devrait être recommencé avec des échantillons collectés à d’autres moments de l’année (répétabilité des résultats).

Ainsi, une efficacité objective de certains extraits de plantes contre Haemonchus contortus a pu être établie in vitro dans le cadre de ce projet scientifique. Depuis, les recherches dans le domaine des plantes médicinales de par le monde se sont développées avec des résultats très intéressants.

 


Les plantes médicinales peuvent-elles donc être utilisées telles quelles comme remède ?


Pour rester dans le cadre scientifique, se pose maintenant le problème de l’efficacité IN VIVO (= dans l’animal) : il s’agit dans un premier temps :

- D’identifier les molécules actives présentes dans les extraits.

- De définir une concentration minimale d’activité.

- D’étudier les moyens d’assimilation par l’animal (voie cutanée, orale, par l’alimentation) sans perdre l’efficacité des molécules suite à la digestion par exemple.

- De vérifier leur innocuité pour l’animal traité quel que soit le stade physiologique (impact sur la gestation !).

- D’établir la présence éventuelle de résidus lait / viande (impact potentiel sur le consommateur ou la transformation des produits).

Par la suite, il faut également établir :

- Quelles parties de plantes renferment les molécules actives : c’est parfois la racine, le bourgeon, l’écorce ou les feuilles qui en contiendront le plus.

- A quelle période de l’année, voire du jour, la concentration est la plus importante.

- Définir sous quelle forme le maximum de substance active peut être obtenu : tisane / macération / hydrolysat / extraction éthanolique / cendre, etc.

 


Il reste ensuite à définir un protocole : comment faire prendre les extraits de plante, par exemple associés à des minéraux (bassines) ou en cure orale par l’eau de boisson respectivement par traitement individuel, ainsi que pendant combien de temps et combien de fois par an dans l’année. En effet, si par exemple les animaux ne consomment pas les bassines contenant les extraits végétaux, il n’y a aucune efficacité du produit !


Dans le cas des plantes médicinales, une difficulté supplémentaire réside dans le fait que ces végétaux sont souvent associés entre eux dans les remèdes décrits en ethnobotanique, obtenant :

- Synergie et potentialisation des effets de chacune des plantes.

- Traitement de fond en accompagnement de la visée antiparasitaire.


Comme on le constate, des alternatives existent mais demandent encore à être approfondies et objectivées.

Le chemin risque d’être encore long, mais reste passionnant !


En attendant, pensez à suivre vos cheptels par coproscopie régulière, le premier réflexe quelle que soit la méthode utilisée pour contrôler le parasitisme !!




Pour aller plus loin :
« Prospect for anthelminthic plants in the Ivory Coast using ethnobotanical criteria » M.S. Diehl, K. Atindehou, H. Téré, B. Betschart, 2004 Journal of Ethnopharmacology.


NB. L’ensemble des données, des résultats et du travail de recherche peut être consulté dans le travail de diplôme « activité anthelminthique de plantes médicinales présentes en Côte d’Ivoire » M. Diehl, 1998, Institut de Zoologie de la Faculté des Sciences de l’Université de Neuchâtel, CH.