Pâturage mixte équins-bovins, qu’en savons-nous ?

Le pâturage mixte équins-bovins est couramment mis en oeuvre au sein des structures d’élevage et dans le cadre de la gestion d’espaces sensibles. L’objectif de cet article est de préciser l’état des connaissances sur l’utilisation de la végétation par les deux espèces, ainsi que sur l’impact de leur co-pâturage sur le couvert végétal, le parasitisme gastro-intestinal et les performances animales.


Pâturage mixte équins-bovins,  qu’en savons-nous ?

Le pâturage mixte consiste à conduire différentes espèces d’herbivores sur une même surface au cours de la saison de pâturage. Il vise généralement à utiliser plus complètement la ressource végétale en tirant profit des différences de sélectivité alimentaire des espèces. Les effets attendus sont :

•    Une diminution des zones de refus au sein de la parcelle.

•    Une augmentation de la valeur nutritive du couvert disponible pour les animaux.

•    La dilution du parasitisme gastro-intestinal. Peu d’helminthes sont capables d’infester différentes espèces d’hôtes.

La mixité au pâturage est ainsi susceptible d’accroître les performances animales. Dans certaines situations, la complémentarité de prélèvement entre différents herbivores est utilisée dans un objectif prioritaire d’entretien de milieux. Il peut s’agir d’espaces concernés par de forts enjeux vis-à-vis de la préservation de la biodiversité et/ou de la limitation de l’embroussaillement.

Cet article, illustré par diverses études, donne ainsi un aperçu des connaissances dont nous disposons sur le pâturage mixte équin-bovin.


Choix alimentaires et niveaux d’ingestion

Le régime alimentaire des équins présente de fortes similitudes avec celui des bovins. Dans des espaces naturels comprenant différents types d’habitats, plusieurs travaux montrent que les deux espèces exploitent préférentiellement les prairies.


  • En Espagne, des vaches et des ponettes suitées ont d’abord pâturé au sein d’une prairie qui représentait un quart de la surface accessible aux animaux puis se sont reportées sur la surface restante composée de landes lorsque la disponibilité en herbe est devenue limitante (Celaya et al. 2011, Ferreira et al. 2013, Osoro et al. 2017).


  • Au sein d’une réserve naturelle en Belgique, des poneys et des vaches ont pâturé préférentiellement les prairies, même si les bovins ont exploité les zones embroussaillées et boisées en hiver (Lamoot et al. 2005).


Au sein des prairies, les équins et les bovins préfèrent pâturer les graminées. Les légumineuses et les plantes diverses sont utilisées secondairement et davantage par les bovins que par les équins (prairies humides : Ménard et al. 2002, Karmiris et al. 2011 ; prairies dunaires : Lamoot et al. 2005). Ceci résulte probablement d’une meilleure aptitude des ruminants à détoxifier les métabolites secondaires présents dans ces plantes.

Par ailleurs, les équins pâturent plus ras que les bovins grâce à leur double rangée d’incisives. Ils s’alimentent pendant 16 heures par jour en moyenne (contre 8 heures chez les ruminants).

  • Dans des prairies humides du Marais Poitevin exploitées en pâturage continu par les deux espèces, les équins ont entretenu des zones d’herbe rase (< 4 cm). Tandis que les bovins ont exploité les zones d’herbes hautes (9-16 cm en moyenne) où étaient regroupés les fèces des chevaux (Ménard et al. 2002).


  • Dans des prairies permanentes du New Forest et dans une zone humide des Pays-Bas, des poneys ont privilégié une végétation rase. Les bovins, quant à eux, se reportaient sur les zones plus hautes refusées par les équins (Edwards & Hollis 1982, Vulink et al. 2000, Cornelissen & Vulink 2015).


En milieu naturel, lorsque la disponibilité en herbe diminue au sein des prairies (en cas de fort chargement ou en hiver par exemple), il est nécessaire d’offrir aux bovins un autre type d’habitat en complément. En effet, ils ne sont pas capables de constituer leur ration journalière sur un couvert ras. Les bovins peuvent alors exploiter de vastes espaces embroussaillés ou boisés où la végétation, majoritairement composée de dicotylédones, est peu appréciée par les chevaux (Vulink et al. 2000, Ménard et al. 2002, Lamoot et al. 2005).

Quelques travaux ont comparé l’ingestion volontaire entre des équins et des bovins allaitants au pâturage. Ils montrent que les équins ingèrent davantage de matière sèche que les bovins. Cette supériorité d’ingestion des équins leur permettrait de compenser leur moindre efficacité digestive comparativement aux ruminants (prairies humides : Ménard et al. 2002,; zone humide : Cornelissen & Vulink 2015 ; landes et prairies : Osoro et al. 2017).

Parasitisme et performances animales

La gestion des strongyloses équines en élevage repose classiquement sur une vermifugation calendaire systématique, mais la sélection de parasites résistants conduit à rechercher des méthodes de lutte alternatives. Le pâturage mixte avec les bovins pourrait constituer un des leviers puisqu’une seule espèce de strongle (Trichostrongylus axei) est commune aux équins et aux bovins. Une étude récente conduite dans les piémonts nord du Massif-Central rapporte des résultats encourageants puisque de jeunes chevaux de selle conduits avec des bovins allaitants au pâturage dans des élevages mixtes excrétaient deux fois moins d’œufs de strongles que leurs homologues conduits seuls en systèmes équins spécialisés (Forteau et al. 2020). Il reste toutefois à déterminer comment les modalités de mise en œuvre du pâturage mixte entre les deux espèces peuvent moduler l’infestation des chevaux par les strongles. Les références relatives aux performances des équins et des bovins conduits en pâturage mixte sont peu nombreuses.

  • Dans un milieu composé uniquement de landes, les performances de vaches suitées et dans une moindre mesure de juments suitées ont été pénalisées en dépit d’un faible chargement (0,25 animaux/ha) et d’une durée de pâturage réduite (performances ramenées à l’UGB pour permettre la comparaison entre espèces, Celaya et al. 2011). Dans un milieu composé de landes et intégrant ¼ de sa surface en prairie, les performances de vaches suitées étaient inférieures à celles de ponettes suitées. Les ponettes, du fait de leur fort niveau d’ingestion d’herbe et de leur aptitude à pâturer ras, entraient en compétition avec les bovins pour l’utilisation de la ressource prairiale (Osoro et al. 2017).


  • De même dans une zone humide des Pays-Bas, Cornelissen & Vulink (2015) ont montré que des vaches conduites avec des chevaux à chargement élevé (1,6 animal/ha) présentaient des performances individuelles moins élevées que lorsque le chargement était allégé (1,3 animal/ha). A nouveau, les auteurs expliquent ce résultat par le fait que le pâturage ras des équins a exclu les bovins des prairies conduites à fort chargement.


  • Une seule étude rapporte des résultats obtenus en prairies mésophiles* plus productives. Dans ce travail réalisé en Limousin et Basse-Normandie et comparant 2 ratios entre des poulains de trait et des bœufs, les auteurs ont montré que les performances des chevaux étaient supérieures lorsque les équins représentaient 30% du poids vif total plutôt que 50% (Martin-Rosset & Trillaud-Geyl 2011).


* Les prairies mésophiles sont des formations végétales herbacées installées sur des sols relativement fertiles et bien drainés.


Entretien des espaces pâturés : des effets positifs

Le pâturage mixte équins-bovins est utilisé comme moyen de gestion pour éviter la fermeture de différents types de milieux (zones humides, estives etc.).


  • En Camargue, des chevaux et des bovins freinent le développement du phragmite commun (Phragmites australis) et du scirpe maritime (Scirpus maritimus) (Ménard et al. 2002).


  • Dans des espaces peu fertiles des Pays-Bas et du nord de l’Allemagne, le pâturage mixte par des chevaux Konik et des vaches Galloway permet de limiter le développement de certaines plantes compétitives vis-à-vis de la lumière au profit d’espèces de petite taille et/ou compétitives vis-à-vis des nutriments du sol.


  • Le piétinement des animaux crée également des niches de régénération pour plusieurs espèces (Rupprecht et al. 2016).


  • Lorsque le milieu est composé de différents types d’habitats, l’impact des chevaux et des bovins sur la végétation moins préférée (fourrages grossiers, arbustes) est d’autant plus élevé que la disponibilité de l’herbe devient limitante au sein des prairies (Cornelissen & Vulink 2015).


  • Dans une estive de moyenne montagne (Massif Central), l’introduction de pouliches de race lourde dans un troupeau de génisses a permis un meilleur contrôle des graminées de faible valeur nutritive et une amélioration de la valeur alimentaire du couvert (Loiseau & Martin-Rosset 1988). L’entretien de zones rases par les chevaux a toutefois conduit à une diminution de la productivité du milieu comparativement au pâturage bovin (Loiseau & Martin-Rosset 1989).


  • L’introduction de bovins dans un troupeau de chevaux a quant à elle permis une amélioration de la valeur alimentaire des zones de latrines refusées par les chevaux mais pâturées par les bovins. L’introduction des bovins n’a toutefois pas conduit à une répartition plus homogène des déjections au sein du milieu car les bovins n’exploitaient pas les zones rases créées par les chevaux en raison de leur faible accessibilité (Loiseau & Martin-Rosset 1988).


  • Dans le New-Forest, Edwards & Hollis (1982) ont également observé que les bovins concentraient leur alimentation et leurs déjections sur les zones de latrines créées par les poneys.


Conséquences sur la biodiversité

Plusieurs études ont utilisé la technique des exclos afin de soustraire certaines zones au pâturage et comparer leur évolution à celle de zones pâturées par des équins et des bovins. Ainsi, dans les prairies humides du Marais Poitevin, la suppression du pâturage a entraîné une diminution de la diversité floristique et la dominance d’espèces à fort potentiel de reproduction végétative (agrostide stonolifère Agrostis stolonifera ; chiendent rampant Elymus repens) (Amiaud et al. 1996). En milieu peu fertile dans le nord de l’Allemagne, les zones soustraites au pâturage ont également présenté un développement d’espèces végétales de grande taille compétitives vis-à-vis de la lumière. A l’inverse, les zones pâturées comptaient davantage d’espèces de petite taille et d’espèces rares, ce qui a permis d’accroître la richesse spécifique du milieu (Rupprecht et al. 2016). Certains auteurs ont également analysé les effets du pâturage sur la diversité faunistique des espaces. Ainsi, en Camargue, un pâturage mixte équins-bovins a permis d’accroître l’abondance des ressources alimentaires des oiseaux d’eau herbivores et granivores (Duncan et D’Herbes 1982). En limitant le développement des plantes émergentes (ex : scirpe maritime Scirpus maritimus, phragmite commun Phragmites australis), les herbivores ont augmenté la quantité de lumière disponible pour les plantes et les algues consommées par les oiseaux. Aux Pays-Bas, le contrôle du phragmite commun par les équins et les bovins a également permis d’accroître l’accessibilité des proies pour les oiseaux ayant besoin d’habitats ouverts tels que la spatule blanche (Platalea leucorodia, Vulink 2001). Au marais Vernier, la richesse spécifique et l’abondance d’insectes pollinisateurs (les Syrphidés), ont augmenté dans les parcelles pâturées de manière extensive par des chevaux et des bovins, comparativement aux parcelles fortement chargées ou non pâturées (Lecomte et Le Neveu 1993). Enfin, en Pologne, la diminution de la hauteur du couvert permise par le pâturage mixte équins-bovins a favorisé la présence du grillon champêtre (Gryllus campestris) comparativement aux prairies abandonnées (Gawalek et al. 2014). 


Les conséquences sur la biodiversité de l’association des équins et des bovins comparativement à un pâturage monospécifique bovin ou équin ont également été analysées dans certains milieux.


Dans le marais Poitevin

Le pâturage mixte équins-bovins conduit à chargement modéré (750 kg PV/ha) s’est révélé plus favorable qu’un pâturage bovin sur le plan de la diversité botanique en raison d’une plus forte hétérogénéité de structure du couvert (Loucougaray et al. 2004). Le pâturage mixte équins-bovins a également été plus favorable qu’un pâturage monospécifique équin, du fait de l’amélioration de la diversité des zones hautes peu utilisées par les chevaux. En effet, n’ayant pas la capacité de constituer leur ration journalière sur les zones rases, les bovins se sont reportés sur les zones hautes et y ont limité le développement d’espèces nitrophiles** compétitives (Loucougaray et al.  2004).


Dans le massif central

  • Dans une autre étude conduite en moyenne montagne, l’introduction de chevaux dans un troupeau de bovins a permis d’améliorer la richesse spécifique et la valeur pastorale du couvert du fait du contrôle des graminées de faible valeur alimentaire par les équins (Loiseau & Martin-Rosset 1988). A l’inverse, l’ajout de bovins à un troupeau de chevaux a réduit les effets positifs du pâturage équin.


  • Orth (2011) rapporte une plus forte régression de la lande à callune*** sous pâturage mixte que sous pâturage bovin.


  • Dans une estive du Massif Central, Carrère et al. (1999) ont également conclu à une plus grande efficacité du pâturage mixte équins-bovins pour contrôler les jeunes pousses de ligneux : bouleau (Betula sp.), peuplier (Populus tremula), saule blanc (Salix alba) et noisetier (Corylus avellana). En l’absence de résultats relatifs à l’utilisation de la végétation par les deux espèces, ces résultats ne permettent cependant pas de déterminer si la maîtrise des jeunes plants par le troupeau mixte est liée à un effet direct des équins ou indirect (maîtrise par les bovins sous influence de la présence des équins). D’autres travaux concluent en effet plutôt à une meilleure aptitude des bovins pour limiter l’expansion des ligneux en situation de sous-chargement.

Ainsi, Lamoot et al. (2005) ont observé une utilisation significative du saule rampant (Salix repens) par des bovins de race Highland (34 kg PV/ha) alors que les poneys Shetland ne permettaient pas de freiner l’invasion des prairies par le saule, malgré un plus fort chargement (51 à 73 kg PV/ha). Ceci pourrait être lié à une différence de format des animaux mais une autre étude conduite aux Pays-Bas avec un même niveau de chargement modéré pour les deux espèces (120 kg PV/ha) confirme ce résultat : une prairie naturelle humide pâturée par des chevaux Konik a été rapidement envahie par le sureau noir (Sambucus nigra) alors que ce processus était fortement ralenti par les bovins de race Heck (Vulink et al. 2000).


En conclusion

Cette synthèse de la littérature scientifique montre que la majorité des travaux conduits en milieux tempérés sur le pâturage mixte équins-bovins ont été réalisés dans un contexte de conservation de milieux sensibles (zones humides, estives etc.). Bien que le pâturage mixte équins-bovins soit mis en oeuvre dans plusieurs élevages, les connaissances acquises dans des prairies mésophiles plus productives qui constituent le principal support de production des chevaux de sang et des bovins dans les bassins herbagers sont extrêmement limitées.

En France, des travaux conduits par l’Ifce et Inrae sur le pâturage mixte entre chevaux de selle et bovins allaitants ont été réalisés dans des prairies permanentes fertiles du Limousin (station expérimentale de l’Ifce) et sont en cours de valorisation scientifique. Ils montrent qu’il est nécessaire d’adopter une conduite du pâturage mixte qui favorise la complémentarité des choix alimentaires des chevaux et des bovins pour pouvoir en tirer parti. Ces travaux sont enrichis par d’autres mesures qui sont en cours en Normandie. L’objectif de ces études  (Projets Equibov et Pamiebo) sont de préciser les bénéfices et les limites du pâturage mixte équins-bovins comparativement à une conduite séparée des espèces. Elles ont aussi pour objectif de déterminer les modalités de mise en oeuvre du pâturage mixte qui concilient performances animales et entretien des couverts.


**Une espèce nitrophile est une plante qui se développe préférentiellement sur des sols riches en nitrates (azote).

***Une lande à callune est une formation végétale comportant des proportions variables de Calluna vulgaris accompagnées par des herbaces et / ou d’autres espèces arbustives.


Géraldine FLEURANCE (IFCE)